(Je ne sais pas tout à fait par quoi commencer. J’aimerais
pouvoir dérouler mon récit simplement, comme un fil qui
traîne et sur lequel il suffit de tirer pour retrouver tout le reste
de la bobine, seulement chaque fil sur lequel j’essaie de tirer
finit par s’amenuiser, s’effilocher pour finalement me glisser
entre les doigts. Alors j’entremêle les fils de mon jean abîmé
avec les lacets de mes chaussures. Et en cherchant ce fil, en
attendant un train qui pourrait m’emmener quelque part,
j’essaie de penser en images.)

Il y a un tableau en particulier qui flotte quelque part dans ma
tête, le seul que j’arrive à attraper.

Dans mon image, la lourde porte en verre est fermée pour
garder la chaleur et les mots à l’intérieur. Exceptionnellement,
le chauffage de l’école ne fonctionne pas, aussi
exceptionnellement que l’année dernière et celle d’avant et
celle d’encore avant, mais le minuscule radiateur électrique
qui tourne depuis ce matin a fini par remplir la pièce d’un air
tiède. None peint en t-shirt, j’écris assise par terre, les jambes
enroulées dans une écharpe et un plaid élimé recouvert
d’acrylique. Dans mon image, rien n’a bougé depuis des
jours, les trois piles de livres sur mon bureau, le paquet de
gâteaux entamé, les travaux colorés de Kira, étalés un peu
partout et surtout là où il n’est pas, les textes et les schémas
cloués au mur, l’odeur de cigarette qui flotte encore un peu
parce qu’il fait trop froid pour ouvrir la fenêtre.

Derrière la porte, dans la toute petite salle de stockage où
personne ne va jamais, sont rangés un matelas gonflable plié
en trois, un sac de couchage, une couverture, deux oreillers et
des planches en bois empilées les unes sur les autres. À
même le sol s’alignent des vêtements, triés et pliés
soigneusement comme dans une armoire. Au-dessus, un
panneau noir avec des lettres blanches …………… (raconte/
dit/écrit/précise/….) « YOU HAVE BEEN HERE BEFORE » : Tu
es déjà venu ici. Tu t’es déjà (re)trouvé ici. Tu as déjà existé à cet endroit - à ce moment - à cette place - à cette page.


L’image t’échappe toujours un peu à la fois, comme les perles
du collier qui rebondissent sur le sol un peu sale, comme les
mots qui glissent du bout de la langue et du bout des doigts
pour s’éparpiller et se déverser là où ils ne devraient pas.
(ils ne faudraient pas)

Toi aussi, peut-être, tu ne sais plus quel fil suivre, alors défais
la bobine encore et encore. Les éléments se réorganisent par
fragments, tu attrapes les perles du collier, l’odeur de
cigarette et de peinture à demi-sèche, le bruit de la mer
derrière la fenêtre, le poster affiché au-dessus de ton canapé
depuis des mois, la fenêtre d’un atelier qui ressemble à une
chambre qui ressemble à toutes les autres chambres qui te
disent toutes « YOU HAVE BEEN HERE BEFORE ».

Dans ton image - c’est maintenant que le récit commence à nouveau à m/s’échapper - dans ton image qui, maintenant, se dilue sûrement par-dessus/contre/avec la mienne

il y a aussi

des formes aux symboles concrets mais aux liens arbitraires
qui écrivent sans alphabet

le souvenir d’une tasse brisée inscrit à même le sol d’une salle
qui ne se ressemble plus tout à fait

un auto-portrait qui raconterait peut-être un long voyage de
droite à gauche caché derrière les lignes

les souvenirs emmêlés d’une photographe la tête sous l’eau
des bananes importées que l’on recrache comme un art
exporté

les images d’une vraie fausse ville qui se superposent au récit
d’une rencontre à Melbourne

le long récit du visiteur d’une fausse vraie ville qui en raconte
les figurants

des artistes sous lexomil perdus trop loin du réel

l’histoire d’une famille aux corps fantômes

le regard de Marie-Madeleine

une fausse entreprise venue d’ailleurs qui s’exposerait juste
ici

des fils emmêlés autour de trains qui te ramènent là

où tu as déjà été


// somewhere you have been before
Une proposition de Salomé Mercier