Je crains les intérieurs parce que je ne les ai jamais vus. Par exemple, je crains mon intérieur à moi.

J’ai imprimé des papiers d’images de nuages. Où vont les choses qui se dessinent au fond de mes yeux ? Suis-je une boîte ? Une fois j’ai collé mes paupières avec de la colle à bois, et au bout de quelques secondes mes lignes mentales se sont mises à inventer des immeubles de lumière qui s’étendaient d’un même souffle avec longueur et gracilité. La ville olympienne était tellement belle sous mes cils enflés que j’ai cru y voir une jungle. A cet instant, j’étais heureuse.

Peu à peu, du fond de mon paradis, je sentais une agitation générale à l’extérieur de ma tête, quelque chose de féroce et qui est venu s’attaquer à mon for intérieur. Le sablier était plein et il fallait retourner cueillir les pommes. J’ai pris le sécateur à côté de moi et rouvert mes yeux. J’ai quitté la ville à toute vitesse. J’entendais à présent les voix environnantes distinctement. Les bâtiments jaune soleil de mes inventions somatiques avaient aussitôt disparu, comme une photographie inversée. L’extérieur avait dé-photographié mon intérieur. Pousser le déclencheur pour capturer l’instant. Au lieu de l’empreinte d’une vision immortalisée à jamais, tout s’en va, laissant un noir béant, un vide où la lueur n’a jamais existé. J’ai étiré très grand mes yeux en feu et je ne voyais plus rien. A cet instant, j’étais malheureuse.

En coupant les pommes, j’ai aussi coupé mon doigt. Mon sang a jailli sur tous les feuillages du jardin. Les gens autour de moi, voyant ce spectacle magnifique, se sont coupés à leur tour avec les cisailles réservées aux tiges. L’intérieur des gens allait maintenant à l’extérieur. Des fontaines rougeâtres créaient des feux d’artifices partout où mon regard se posait. Nous avons fait la fête en tournoyant car ce décollement (qui sépare moi et le monde, moi et les autres, moi et moi) n’existait plus.

Je me rappelle Pompéi, du volcan qui éclate et recouvre la ville de cendres cyanosées. La chaleur des laves libérait les gens en les figeant à jamais.
En rentrant chez moi, le liquide de mon doigt s’échappait toujours de l’entaille béante. Je me suis dit : il en reste suffisamment pour calligraphier tous mes souvenirs à l’encre violacée sur les murs de mon appartement.

J’ai tout écrit, du début à la fin, de la naissance à maintenant. J’ai pensé : durant 9 mois j’ai été entourée de liquide pour que le liquide puisse couler en moi, comme un circuit électrique. J’ai noté cette phrase à côté de l’histoire de ma noyade ratée. J’ai aussi inscrit ce qui a seulement existé à l’intérieur de mon crâne, comme la fois où j’avais vu la lumière du soleil se refléter sur les grands immeubles. Où sont partis les maisons qui montent jusqu’au ciel ?
Quand j’ai terminé le récit de ma vie, j’ai léché mon index et le sang s’est arrêter de couler.

Faire sortir les choses de sa tête pour alléger l’esprit. Aérer les pensées.
Faire respirer la pensée.
Disséquer les peaux, isoler le plan. D’abord dépecer le corps humain, ensuite faire sécher les muqueuses humides en les suspendant à leur moitié à des fils très tendus (comme quand on fait une machine à laver et qu’on veut étendre les habits de sorte à ne pas avoir à les repasser). Comme un processus de séchage classique, si la météo est venteuse, utiliser des pinces à linge. En somme, voir l’intérieur non par intériorité, mais par réalité. J’ai entendu : je crois ce que je vois. Bah t’es trop con tu veux voir ma main dans ta gueule ? Même si je fendais ma tête en deux, je ne trouverais pas les réponses, tout ce que je pourrais constater, c’est un entrecroisement méticuleux créer par des millénaires d’évolution de tuyaux roses qui ne veulent rien dire. Où par la pensée ?
La pensée, un réseau électrique nerveux qui s’agence en connexion.
Un de mes professeurs d’histoire au lycée (impossible de me rappeler de son nom/prénom, mais il avait une tête atypique avec un menton anormalement grand comme dans les dessins animés) m’avait dit que la mémoire est un disque dur infini, celui que couterait 100 milliards d’euros à la Fnac. La pensée est un disque dur infini il a répété, que si on l’entraîne bien, on pourrait absolument tout y mettre, tout faire rentrer, tout connecter, tout savoir. Souvent j’y pense quand je vois des gens très intelligents et je me dis que ce sont vraiment des supers disques durs. Souvent j’y pense quand j’essaie de me remémorer ce que j’ai mangé ce matin et que je galère littéralement 6 minutes pour pouvoir m’en rappeler.

Disque dur plongé dans l’eau par une grosse main blanche cadavre, disque dur noyé qui ne peut plus se connecter car l’eau est un isolant qui ne laisse plus passer l’électricité (merci à mon professeur de physique-chimie du collège dont le nom n’est pas une réminiscence de la plus haute instance). Disque dur sauvé. Voici ce qu’il en reste.
Une proposition d'Antonella Minchella