Ça dégoûte, ça prend à la gorge, le masque stérile et étouffant que nous
portions tous rendait indissociable nos visages devenus semblables par le poids
de leurs absences. Cette situation généralisée, consensus mondial comme on en
fait tant, pousse la réflexion hors du domaine maîtrisé, dans un inconscient sans
oxygène. Cette asphyxie libère, en plus d’un mal de crâne captivant, une déréalisation ambiante pousse notre réel au bord du non-sens.

Tandis que je suicide le besoin irrépressible du dehors, perplexe, je sens encore ce
cri dans ma gorge, tournant en rond entre le fond de mon ventre et le bout de ma
langue. J’ai parfois l’espoir que cette pression fasse sauter l’émail de mes dents.
Que mes hurlements m’échappent pour sortir l’instant de son contexte. Je me
convaincs parfois moi-même de la nécessité de ce cri, de l’apport que
représenterait ce sursaut de vie à l’environnement morne qui nous presse.
Il faut étouffer ces pulsions également. L’écriture pour supporter le réel, un art
comme les autres. Toutes création passe pour l’évitement de ce qui s’impose.
Faut-il fuir l’écran de virtualité qui forme notre réalité ? La description honnête
subjective du drame avec les émotions désespérées qui l’accompagnent.
Résolution de révolte.

Conditionnés par la crainte politique de la submersion. Je souhaitais m’excuser de
nos spasmes désynchronisés. Je me suis défendue de ce réflexe honteux. Cette
volonté, cette faiblesse lâche, ce dernier symbole d’improductivité, je luttais contre
avec conviction. Il devient risible de bercer par nos excuses la culpabilité culturelle
transmise.

Sysiphe dans l’absurdité ambiante laisse sa pierre le porter au sommet. Bras en
croix, yeux crevés. Funambule ? Hypnose ou trouble dissociatif ? Aucune liberté
ne réside en pratique, si bien qu’aucune pratique ne résiste à la théorique.
Faiblesse de tous côtés. Allons nous devoir abandonner la notion de résistance ?
Résister à quoi au juste ?

La fictivité, une festivité naïve de ce qui nous entoure. Je ne croyais plus en la
formule, il fallait vivre hors du mythe, hors des culpabilités privilégiées.
Trop peu assuré, le texte a perdu toute sa fluidité au profit d’un flou artistique. Se
prêtant un fond, la novlangue inaccessible chavire mais ne coule pas dans les
méandres de votre lecture.

Je ne faisais plus diagnostiquer mes burnouts depuis deux ans, trop déprimant de
voir des mots contenir le fond. L’étrange manoeuvre que d’employer des lieux
communs pour parler des manques subjectif pousse le privé dans une parallèle du
politique. Nous n’employons pas tous les mêmes mots pour définir un même mal,
nous avons peur de nous réunir derrière un étendard commun. La crainte de
l’abandon au profit du groupe pousse le soi au retranchement de son être.
Peu de mes amis n’étaient pas sous Lexo pour tenir les jours s’enchaînant sans
faim. Lorsque nous nous asseyons dans un bar, chacun sans dire un mot, pensait
individuellement à la planque qui lui servirait lorsque l’attentat hypothétique de sa
névrose éclaterait. Ce n’était pas une crainte mais un réflexe pavlovien. Se
prémunir de la mort tout en ne vivant plus que par ou pour elle.

Une phrase majeure de notre éducation: « il va falloir faire un choix, aider ou
contempler l’humain mourir, supporter les reflets humains de notre culpabilité.
L’autre deviendra donc le souvenir des laissés pour compte. Nous serons à jamais
les symboles de l’abandon qu’il nous reste à faire.

Nous avions tous grandi dans la nostalgies de nos ailleuls, nous laissant un monde
au bord du précipice. Nous avions cette conscience en commun sans pour autant
le reconnaître. Aucune nuance n’avait été émise sur notre fatale destinée, tandis
que les symboles s’effondraient, on nous demandait de reconstruire en respectant
les ruines encore présentes un peu partout. Les plus inspirés fuyaient avec un
acharnement admirable toute frontière du réel. Nous étions tracté vers un nihilisme
conscient, un étouffement de l’instinct commun.

Le sublime naturel reprenait son ampleur, nous ne pouvions plus éteindre cette
démesure hors de nous-même. Nous ne pouvions plus lutter contre notre
condition. Le grandiose se dilatait en nous tandis que les eaux submergeait nos
foires. La posture de créateur se constate fragile.

Proportionnellement aux tensions sociales l’environnant, la violence des oeuvres a
augmenter au cours du XXe. L’auto-fiction de l’art. Comme si ces dernières
décennies nous avions eu besoin de nous éloigner du réel pour lui attribuer une
quelconque valeur, comme si la projection sociale suffisait à déjouer les ressorts
de notre immobilisme.

L’égo d’un seul peut-il porter tous les autres ? Les artistes se vengent-ils du
système épuisant le sens de leur pratique ?
L’argent, rare; l’art, non-essentiel; le doute des formateurs…
L’épuisement.

L’isolement. La détérioration du sens général. La déraison vivante, cette place
immense pour le désespoir… L’artiste est-il présent pour préparer l’humain à son
propre deuil ? Comment digérer notre humanité ? Comment nous ingurgiter ?
Comment dévorer ce qui nous dévore ? Comment ne pas vomir ce qui nous lie ?
La peur de notre disparition échappatoire mentale, occupation morale, nous
détourne efficacement de nos vies abdiquées.

J’avais rapidement été traumatisé par l’expérience du spectateur. Tout
naturellement, je m’étais donc dirigé vers la posture du bourreau.
Cette méthode de protection inconsciente à l’époque, et purement spéculative
dans cet écrit, semblait le seul moyen de résister à l’hymne monde des
esthétiques qui construisaient la mienne.

A quoi servait-il encore d’écrire et de produire ? Qui étions nous pour faire ?
Encore trop marqué de complaisance. Que faire ? Pourquoi faire ?
Comment produire un récit de l’apaisement, comment créer une voie qui ne serait
pas un échos au fatalisme de convenance ? Sortir de l’agression et du regard ? Le
visuel porte-t-il sa violence en essence ?

Partagée entre l’idée de décrire mon trouble, de le justifier, de l’expliquer ou encore
de le respecter au point de ne rien faire de toutes ces choses.
La fiction ne résidait que dans dans l’extrême dramatique de l’ingestion. Nous
avons fait sauter notre musée imaginaire. Dernier acte de contestation fictive.
L’attentat ne fait pas de mort physique.

Cette futile conviction de la légitimité que nous avions à être ne me porte plus.
Une proposition d'Aimée Fleury